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TROIS PARMI LES AUTRES

Quand Bertrand eut fait irruption, rieur et gambadant comme à son ordinaire, on s’en alla sur le plateau de Gagny respirer l’air doré de la fin d’août.

La terre était craquelée et sèche entre les chaumes. De petites plantes vertes rampaient, vrillées à cette aridité, dressant çà et là une minuscule fleur rouge, comme une étincelle tombée dans la paille.

— Dans quelque temps, dit Antoinette, il n’y aura plus ici que l’étendue brune des champs labourés, face au ciel. C’est à ce moment que ce triste plateau a sa beauté. Je lui trouve une expression de renoncement, de mort consentie… C’est vraiment là qu’il faut venir pour désapprendre à vivre.

— Quelle petite ascète ! s’écria Robert surpris et cherchant à capter son regard. Quel âge avez-vous donc, Antoinette ? On peut vous le demander ?

— Vingt et un ans, bientôt vingt-deux.

— Et c’est à cet âge-là que vous parlez de désapprendre à vivre ?

— Oh ! vous savez, l’âge, c’est une convention… D’ailleurs, la jeunesse a le goût de l’austérité. À vingt ans, on entre au couvent. À cinquante, on apprend le charleston et on court les petites femmes. Imaginez un pays où les ministres, les gouverneurs, les prêtres auraient de dix-huit à vingt-cinq ans et où les lieux de plaisir seraient réservés aux follets et aux follettes marqués de la patte d’oie. Je vous assure que tout le monde serait content.

— Jeune fille paradoxale, dit Robert en sou-