En redescendant à travers les prés, un peu étourdi, Bertrand pensait :
— Elles sont renversantes ! Véritablement renversantes !
Cela le soulageait, de mettre sa rancune au pluriel.
Deux heures sonnèrent à l’église. Suzon marchait avec précaution sur le gravier.
« Quelle aventure, non, quelle aventure ! »
Elle s’arrêta, net. Une silhouette se dressait à quelques pas. Antoinette, vêtue d’un peignoir court par-dessus son pyjama avait l’air dans l’obscurité d’une Annamite plus grande que nature.
— C’est toi, Suzon ? Qu’est-ce que tu fais là ?
Descendre dans le jardin pour soulager sa migraine et rencontrer Suzanne tout habillée, ça, c’était inattendu.
— Écoute, Toine, je vais te raconter. Si tu savais ce qui m’est arrivé…
Le premier saisissement passé, elle était presque heureuse de trouver une oreille pour y verser les émotions de cette nuit extraordinaire. Tant pis pour la semonce !
Mais Antoinette n’était pas d’humeur à sermonner. Elle venait à peine d’échapper à la honte délicieuse d’un rêve éveillé qui lui montrait Robert à ses pieds et lui soufflait mille consolations hypocrites à l’usage d’Annonciade. Silencieuse, pressant d’une main son front brûlant, elle écoutait la confession de la petite, salmigondis de vérités, de semi-vérités, et d’apologies voilées.