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trois parmi les autres

bleu s’accroche au bras du vétéran : Antoinette vivait en familiarité avec le péril, elle apprenait à le vaincre. Au seuil de l’avenir menaçant, veillait une jeune fille armée de science. C’était rassurant comme l’éclat de la lumière qui dissipe un cauchemar.

Antoinette avait d’ailleurs le don d’éclaircir et de pacifier l’atmosphère autour d’elle. Des années de conversation solitaire avec une morte et l’exercice continu d’une volonté de joie lui avaient valu cet équilibre, ce climat salubre qu’on respirait autour d’elle et qui lui attirait les sympathies. Elle ne s’y trompait pas. À un flagorneur qui croyait lui faire plaisir en la traitant de séductrice, elle avait répondu avec son sourire calme : « Une séductrice, moi ? Oh ! non, une cure d’air… »

Annonciade était seule à savoir que cette vie sage, harmonieuse et gaie représentait une perpétuelle conquête sur le désordre. Le père d’Antoinette, affolé par la cinquantaine comme un matou par la lune de septembre, menait sans discrétion son tapage amoureux. Cet aimable homme prenait son parti en philosophe d’avoir commis l’étourderie de devenir père. Un siècle plus tôt, il eût mis sa fille au couvent. Libéral, il trouvait plus commode de lui confier le soin du menu quand il traitait ses belles amies. À celles-ci, il montrait avec une égale complaisance sa grande fille, dont il se sentait fier par intermittences, croyant de bonne foi l’avoir élevée, et sa collection d’ivoires chinois.

Il se trouvait parfois des connaisseurs parmi ces dames : les moins dangereuses étaient celles