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trois parmi les autres

Elle s’en servait rarement, mais elle aimait à les ranger et à les déranger sans fin pendant ses heures de loisir — et aussi à coucher dans leurs boîtes les bas de soie et les gants souples qui exhalent une odeur complexe de mégisserie, odeur de femme élégante, d’écorce et de cuir de bête.

Ainsi vivait-elle, à demi satisfaite, une existence en apparence active, mais intimement nonchalante. Ce n’était là que la moitié de sa vie : l’autre moitié, c’était la vie d’Antoinette.

Celle-là l’intéressait bien davantage. Elle qui, naguère détournait la tête avec dégoût devant une planche anatomique, qui refusait de reconnaître la vie des organes cachés sous sa peau soyeuse, se passionnait pour la médecine depuis qu’Antoinette l’étudiait. Le Larousse médical lui avait livré le secret de toutes sortes de maladies dont elle s’était, découvert successivement les symptômes : il y en avait d’inattendues.

Surtout, comme elle avait deviné la raison profonde de la vocation d’Antoinette — cette solidarité qui l’unissait à toute chair féminine souffrante ou menacée — Annonciade s’approchait à petits pas d’un domaine confus et terrifiant qui s’appelait la gynécologie. Les précisions qu’elle pêchait au hasard des manuels et des dictionnaires servaient d’aliments à l’inquiétude latente qui la grignotait depuis l’adolescence. Elle éprouvait l’angoisse de la nouvelle recrue qui monte vers les lignes de feu en se fouettant le courage et croise en chemin les civières gémissantes et saignantes et la puanteur des cadavres. Alors, elle se rejetait vers Antoinette, comme le,