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TROIS PARMI LES AUTRES

avec tranquillité, mais, comme dit Bertrand : « L’amour passe, l’amitié reste. »

— Ah ! Bertrand dit ça ?

— Oui… Il dit aussi : « Un béguin, un matin. » « Un jupon, une saison. » « Une amie, la vie. »

— Je ne lui connaissais pas ces proverbes.

— Bien entendu, réplique Antoinette avec intention.

Suzon n’insiste pas et bat en retraite.

— Emporte ça, murmure Antoinette entre ses dents. C’est tout de même utile d’avoir de l’imagination. Ce petit chacal qui venait pour m’achever !…

Seule, elle se laisse aller dans un fauteuil, ferme les yeux, soupire avec lassitude :

— Toujours se défendre… toujours se défendre…

Elle n’avait plus le courage d’aller trouver son amie. Comment aborder une explication qui les forcerait à avouer qu’elles aimaient le même homme ? Une fois douée de la puissance néfaste des mots, quels ravages ne ferait pas cette vérité que toutes deux maintenaient jusqu’à présent dans les limbes où vagissent les douleurs informulées ? Non, mieux valait se taire, et endurer.

Cependant Annonciade laissait crever en gros sanglots de petite fille l’émotion de cette journée et hoquetait pour elle-même une plaidoirie confuse.

« Ce n’est pas de ma faute… C’est elle qui ne se rend pas compte… Tout ça, parce que je me suis fait couper les cheveux sans sa permission. »

Mais elle sentait bien que le drame dépassait cette question futile. Volontairement aveugle,