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TROIS PARMI LES AUTRES

— Tenez, proposa-t-il d’un air détaché, si vous le voulez, nous le visiterons ensemble au mois d’octobre. Vous me direz s’il vous plaît. Vous ferez aussi la connaissance de mon ami. Je lui ai parlé de vous…

« Ah ! il lui a parlé de moi ! se disait Antoinette. Probablement en qualité de future occupante de sa garçonnière (en quoi elle était injuste, car André n’avait pas osé s’aventurer si loin, de crainte d’être moqué par son ami en cas d’échec).

« C’est insensé, continuait-elle en elle-même, le sans-gêne avec lequel les hommes disposent de nous… Et celui-ci est timide encore… Alors, que dire des autres ! Qu’est-ce qu’il veut que ça me fiche, son appartement, son ami, son éditeur et tout le bataclan 1 »

Elle voyait de dos Robert Gilles qui conduisait. En se penchant un peu, elle pouvait même apercevoir ses belles mains nerveuses qui tenaient le volant. Elle aurait voulu s’absorber dans cette contemplation — depuis quelques jours, elle avait appris à se contenter de ces bonheurs que personne ne vous dispute — et, durant toute la promenade, renversée sur les coussins, dialoguer comme en rêve avec cette tête aux cheveux rebelles et si vivants, cette nuque dont les deux cordes, à peine, saillantes sous la peau soignée, s’élevaient avec élégance du col net. Mais non ! Il lui fallait écouter l’autre et sans cesse écarter le bourdonnement importun de son désir. D’exaspération, chacune de ses côtes lui faisait mal quand ils descendirent de voiture sur l’esplanade d’Avallon.

— Enfin, que me conseillez-vous ?

— Mon pauvre André, faut-il vous répondre