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TROIS PARMI LES AUTRES

conques. Sur le même rythme, des vagues lumineuses ondulent devant ses yeux. Dans ce naufrage, surnage, comme l’instinct de conservation, cette idée qu’Annonciade ne doit pas savoir qu’elle a compris. Il faut tâcher de sauver encore leur amitié. Antoinette fait un effort surhumain pour dire d’une voix naturelle :

— Quand tu auras fini d’écrire, mon coco, tu mettras le couvert, veux-tu ? Je vais m’occuper du déjeuner.

Annonciade fait un signe de tête. C’est tout ce que son état lui permet. Et quand son amie a disparu, elle se lève, tremblante, le feu aux joues, se forçant à la colère pour étouffer le remords qui la point :

— C’est de l’espionnage, à la fin ! Cette façon d’entrer sans qu’on l’entende… Robert a raison, je crois qu’elle me surveille.

En descendant à la cuisine par l’escalier extérieur, Antoinette rencontra Suzon qui rentrait d’une promenade solitaire (les promenades solitaires étaient très à la mode depuis quelque temps) et qui lui dit des paroles joyeuses — qu’il faisait beau, qu’il soufflait un vent « épatant » sur le plateau, que les prunelles n’étaient pas encore mûres… Elle avait l’air de se hâter de parler, de peur qu’on l’interrogeât. Mais celle-là pouvait bien aller au diable, si elle voulait…

— As-tu besoin de moi, Toine ?

— Non, non. Va plutôt aider Annonciade à mettre le couvert.

— Qu’est-ce qu’on mange, aujourd’hui ?

— De l’homme. C’est le plat du jour, répond Antoinette froidement.