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TROIS PARMI LES AUTRES

l’Homme-Dieu, c’est-à-dire le Juste, le Bon et le Dominateur, me soumettre à ce Dieu et lui soumettre les autres. » Mais son intelligence observatrice et réfléchie connaissait l’indulgence. Il comprenait beaucoup, donc blâmait peu, et tenait les conventions sociales pour ce qu’elles valent, tout en s’y conformant.

Seulement les paroles de Suzon avaient alerté son instinct avant son intelligence. C’était l’instinct qui en ce moment l’emplissait de défiance, d’irritation, et d’une hostilité un peu méprisante à l’égard d’Antoinette.

— Ce n’est pas la peine de me reconduire jusqu’à la maison, s’écria Suzon, en voyant l’auto s’engager sur la côte de Gagny. Laissez-moi sur la route.

Robert fit « non » de la tête et Bertrand demanda à mi-voix avec une intonation câline :

— Vous êtes donc si pressée de me quitter ?

(Sapristi ! pensait Suzon, ils me mettent dans de beaux draps ! Elles vont se figurer que je suis allée les chercher !) Et elle se sentait par avance emplie d’indignation comme une innocente injustement soupçonnée.

— Vous n’êtes pas raisonnable, répondit-elle à Bertrand. Puisqu’on doit se retrouver demain…

— Ça n’est pas une raison pour vous laisser partir ce soir. Est-ce qu’on se lasse du bonheur ? (Ce que je peux être crétin ! mais elle en vaut la peine, elle est rudement bien — et puis elle n’a pas froid aux yeux.)

Suzon espérait que les deux amies seraient encore dans le parc et qu’elles n’entendraient pas la voiture s’arrêter. Mais elles sortaient justement