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trois parmi les autres

vu que des loques séchant aux fenêtres et les douaniers semblables à des olives moustachues dans leur uniforme vert. Il lui avait fallu repartir le lendemain, mais la fille qui lui était née, de cette nuit troublée par les sèches petites puces du pays basque, elle l’avait nommée Annonciade pour se persuader qu’elle avait visité le cœur de l’Andalousie et prié dans des églises lourdes de dorure et de dévotion.

Annonciade, fruit d’une déception et d’une illusion… Petit fruit de quatorze ans, défiant déjà, craintif et rétractile comme ces fruits sous-marins qui cachent une bête de chair tendre…

Antoinette l’observait avec une curiosité chargée de tendresse spontanée, d’un sentiment de protection. La rencontre de deux natures faites pour s’aimer est un aboutissement, non un commencement ; il lui semblait que depuis des années elle connaissait cette fillette sensible et farouche qui, en ce moment, soulageait son cœur plein de rancune en pétrissant dans ses mains son tablier trop long :

— Non, je ne sais pas où mes parents sont allés chercher ça. C’est moi qui ai tout pris. Ma petite sœur, ils l’on appelée Suzanne. Il y en a qui naissent avec la veine…

Grâce à Antoinette, Annonciade, à qui tous les plaisirs d’orgueil avaient été refusés jusqu’à présent, — car elle se trouvait laide, — connut le suprême orgueil de la conquête. Elle naissait une seconde fois. Ces pouvoirs, qui lui étaient donnés