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TROIS PARMI LES AUTRES

moi, reviens-nous. Bagheera, Frère Gris, pourquoi l’avez-vous laissé seul ?

— Petit frère, appellent ensemble Bagheera et Frère Gris, où es-tu, petit frère ?

— Me voici. Pourquoi m’avez-vous laissé seul cette nuit ? Je sais maintenant le nom du gibier qu’on ne peut pas atteindre. Notre soleil n’est plus le même, ô mes frères de la Jungle, et non plus notre nuit. Désormais, nos pistes se séparent. La voix de la Jungle s’éleva de nouveau :

— À quoi vas-tu renoncer, Mowgli, petit d’homme ? Tu étais libre et tu ne le seras plus. Tu possédais ton corps et ton corps te possédera. Toi qui étais le maître de toutes les créatures, Mowgli, ne deviens pas l’esclave d’une seule ! Tu es tombé dans le piège, tu as mordu au gibier empoisonné qui te laissera le goût écœurant de sa chair dans la bouche — et tu ne pourras plus rien goûter, Mowgli, plus rien, plus rien.

— Et s’il me plaît d’être empoisonné ? Et s’il me plaît de renoncer à toutes les créatures pour une seule ?

— Ils brodent, remarqua Frère Gris. Ça n’est pas dans Kipling.

— Ils dialoguent dans le style du prophète Ézéchiel, ajouta Bagheera qui étincelait de gaieté.

— Souviens-toi de la fraîcheur des sources, souviens-toi du vent qui courait avec toi, du sol élastique sous tes pieds nus, de la pluie sur ton cou, de l’odeur des feuilles quand il pleut et quand il fait soleil. L’amitié du monde te parlait un langage que tu ne comprendras plus, Mowgli. Souviens-toi de la joie car tu ne la connaîtras plus.

— Pourquoi donc me parles-tu ainsi ? demanda