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TROIS PARMI LES AUTRES

gens ont gardé Frangy. L’aîné y vit constamment ; il fait de l’agriculture, mais je crois que ça ne l’enchante guère. Bertrand, le plus jeune, vient passer les vacances avec son frère. Il fait des études d’électricité à Paris pour être ingénieur.

— À Paris ? demanda Suzon.

Et sa voix sonna comme une clochette fêlée.

Après un moment, durant lequel elle travailla violemment à prendre un air naturel, elle interrogea encore :

— Ils ne sont que deux frères ?

— Oui, répondit Antoinette ; André et Bertrand. Ils doivent avoir vingt et vingt-quatre ans, si je ne me trompe.

L’abbé ajouta :

— Ils ont en ce moment chez eux un de leurs amis, un garçon de vingt-sept à vingt-huit ans, qui s’appelle Robert Gilles. Le connaissez-vous aussi ?

— Pas du tout.

On parla d’autre chose.

Annonciade pensait :

— Zut i on était si tranquille ! Si ces garçons prennent l’habitude de venir nous embêter ! Et puis, je n’aime pas les nouvelles têtes.

Mais Suzon regardait vaguement par la fenêtre le carré de choux du potager et souriait aux légumes, d’un sourire contenu qui tentait de s’échapper par les pommettes et par les yeux, irradiant son visage comme une lampe intérieure. Elle avait oublié l’amazone de Luçon. Elle avait pardonné aux deux jambes de toile bleue. Son serviteur le hasard rentrait en grâce. Un foulard de soie rouge et beige fait sur le gravier un petit