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TROIS PARMI LES AUTRES

qu’elle apprenait à monter à cheval, révélait des dispositions exceptionnelles, prenait part à une chasse à courre avec Mme de Luçon et l’abbé Graslin. Elle enlevait son cheval par-dessus des obstacles prodigieux, suivie par l’admiration du cortège qu’elle entraînait, le curé galopant second derrière elle et Mme de Luçon troisième. On demandait : « Qui est cette amazone intrépide ? » Quelqu’un de bien renseigné répondait : « Une jeune Parisienne, étudiante en droit, très intelligente. » Là-dessus, une voix connue : « Et si vous saviez ce qu’elle est rigolotte, cette petite Suzon ! » Alors, après avoir reçu les honneurs du pied, elle fraternisait avec Mme de Luçon. Toutes deux se promenaient bras dessus, bras dessous dans les prairies, en parlant chiens, chevaux, avec l’abbé subjugué.

Pendant que ces tableaux se déroulaient dans son esprit, elle tapotait les flancs de la levrette, riait et plaisantait. Et le curé qui souriait gaiement à ce joli visage animé ne se doutait pas que la griserie d’une galopade imaginaire et les spasmes de la vanité comblée faisaient briller ses yeux et flamboyer cette bouche couleur de géranium.

Antoinette, silencieuse, devinait Suzon en partie, mais pour le moment, la petite l’intéressait moins que l’abbé Graslin. À le voir ainsi, éclatant de joie, de vie physique, elle se demandait quels effluves heureux avaient pu circuler entre tous ces êtres à deux et à quatre pattes, conscients peut-être d’une obscure parenté, contents de se frotter amicalement les uns aux autres dans la bienveillance des jours d’été. Et quelle pouvait être la nature de la sympathie qui avait poussé