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trois parmi les autres

les signes d’une lassitude accablée. À vingt ans, et bien que le sang riche des brunes colore sa peau et ses cheveux brillants, Annonciade peut prendre en quelques instants, sous l’empire de la fatigue ou du souci, l’aspect fané, les yeux pâles des blondes de trente ans après une nuit de veille. Mais il suffit qu’une heure de repos ou de plaisir passe sur elle comme une vague pour lui redonner sa fraîcheur mouillée.

Antoinette connaît toutes les saisons passagères de ce visage, elle qui s’enorgueillit de la beauté de son amie, comme si le corps féminin n’était qu’un seul arbre aux multiples rameaux et que chaque branche fût glorifiée par la floraison de sa voisine. La jalousie, pense-t-elle, ne peut être qu’un parasite, un champignon verdâtre, un suceur de sève accroché au bel arbre et qui contrarie son épanouissement. Elle admire la grâce des autres jeunes filles plus que la sienne, qu’elle juge médiocre.

Le plaisir que lui causent la courbe des cils enfantins d’Annonciade ou la perfection d’une cheville entrevue dans la rue, est une de ces joies au prolongement indéfini dont on se demande quels échos elles vont éveiller dans l’âme.

Chez Antoinette, c’est peut-être une résurrection du temps lointain où, le nez écrasé sur un jeune sein, elle absorbait confusément, par les mille ventouses de son corps de bébé, la beauté maternelle. Ses souvenirs ne remontent pas jusqu’à cette époque. C’est plus tard qu’elle a pris conscience d’un culte filial passionné qui survit à la mort. Il y a dans sa mémoire une place ensoleillée entre deux murs. L’un de ces murs est