Page:Ratel - Trois parmi les autres, 1946.djvu/112

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
102
TROIS PARMI LES AUTRES

« Une et une et une, nous avons choisi l’heure du hibou, du grillon, du crapaud.

« Que la raison s’envole, hibou. Que le désir caché, grillon de l’ombre, se montre. Que le rêve chante, crapaud inhabile à marcher, au gosier d’ange.

« Une et une et une, nous sommes trois qui ouvrons nos âmes à la nuit, trois belles de nuit, loin des regards.

« Que tes songes viennent à nous, nuit d’été, nous les abreuverons. Mais toi, je t’en prie, emporte nos paroles et disperse-les comme des éphémères.

« Afin que leur ronde insensée ne nous poursuive pas au soleil levant et que nous n’ayons pas à rougir de notre folie à la clarté du jour. »

— Épatant ! Reprenons ensemble.

Les trois voix en chœur, on dirait la prière des nonnes :

« Par la nuit. Par l’oiseau. Par le vent… »

Puis elles attendent, suspendues au bord de quelque chose, les bras soulevés, tout prêts à se changer en ailes. Rien ne vient, que l’odeur des capucines, comme un langage qu’elles sont sur le point de comprendre. Encore un effort… Hélas ! cet effort ouvre un abîme. Le parfum des fleurs n’est plus qu’un parfum.

Suzon éclate de rire. Un rire bref de femme gagnée par l’ivresse et qui veut accélérer les progrès du vertige :

— Sans blague… est-ce l’incantation ? Il me semble que je ne suis plus tout à fait moi.

— Cela ne t’arrive pas, quelquefois, de te chercher toi-même, comme quand on a mis son cha-