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TROIS PARMI LES AUTRES

— Les dieux ?

— Tu as lu Homère ?

— Pas tout. C’est un peu barbe.

— Ça ne fait rien. Tu te rappelles, quand Vulcain a pris Mars et Vénus dans ses filets, l’énorme rigolade des Olympiens ? Eh bien ! c’est un symbole. Les dieux ont inventé l’amour pour se payer la tête des mortels. Chaque fois qu’un couple s’enlace sur terre, les vieux voyeurs immortels, comme dirait Polygone, se tiennent les côtes dans l’Empyrée.

— Il n’y a pourtant pas de quoi rire, dit Annonciade.

Suzon, désemparée, se plaint :

— Avec de l’imagination, on va loin.

Elle se sentait obligée de donner tort à Polygone implorant. Passe encore pour cette fois, où ça n’était pas pour de bon. Mais l’idée de cette rigolade olympienne qui l’intimidait quoi qu’elle en eût, assombrissait l’avenir. Elle n’entendait pas qu’on se payât sa tête. Et cependant…

Dans la chaleur mûrissante, Antoinette silencieuse poursuivait son idée :

— Et voilà, parbleu, pourquoi j’ai inventé Bruno ! Avec cet homme-reflet, je trompe les dieux. Ils ne m’auront pas, non, ils ne m’auront pas ! Vieux monstres !