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TROIS PARMI LES AUTRES

une jeunesse pareille à la nôtre, un esprit, une tristesse ou une gaieté différents des nôtres et pourtant semblables — et peut-être aimons-nous aussi plus secrètement les possibilités d’amour dont nous savons que nous n’userons jamais — que ne ferions-nous alors, que ne devrions-nous faire pour les préserver de ce haut-mal qui les défigure ? Comment peut-on chercher à provoquer l’amour d’un homme, quand on peut obtenir son amitié ? Pourquoi faire naître entre eux et nous le prisme irritant du désir, au lieu d’apprivoiser la confiance, comme un animal charmant tout surpris d’être si bien traité, et qui peu à peu viendra poser son museau frais dans nos mains ? Dites ?

Elle tendait vers ses amies son pâle visage d’abbesse passionnée.

— C’est curieux, murmure Annonciade, il y a des années que je sens ces choses, mais je ne savais comment les dire. Quand tu parles, je reconnais ma pensée.

Suzon opinait de la tête, un peu distraite, car dans le même moment elle imaginait un dialogue avec Polygone où elle reprenait les mots d’Antoinette pour défendre l’amitié idéale contre les arguments du jeune homme qui lui demandait son amour (bien entendu, le sentiment qu’elle lui avait inspiré à première vue s’était exalté… il était impossible de la voir sans l’aimer… etc., etc.). L’attaque de Polygone n’était pas sans charme.

— Dans l’antiquité, reprit Antoinette avec un grand sérieux, il y avait des collèges de courtisanes. On enseignait aux femmes à servir l’amour par l’esprit et par les sens. Je voudrais fonder le col-