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LA MAISON DES BORIES

« Je n’étais pas leur sœur et ils m’aimaient bien, je n’étais pas la fille d’Isabelle et elle m’aimait bien, et maintenant, comment m’aimeraient-ils encore, maintenant que je l’ai fait punir ?

« Je n’étais pas leur sœur, mais c’était tout comme, je n’étais pas sa fille, mais c’était tout comme et nous étions si heureux ! Mais comment ferons-nous pour être encore heureux, maintenant que je l’ai fait punir ?

« On était si heureux, tous, si heureux, on s’entendait si bien, tous ensemble, on n’avait qu’à se regarder pour se comprendre et quand Laurent avait fait une sottise on travaillait tous à la réparer, et quand il pleurait on travaillait tous à le consoler, on avait tous le même ouvrage et la même peine et moi je les ai tous trahis en le faisant punir…

« Et vraiment, il y aurait de quoi se tuer, de quoi sauter tout de suite par la fenêtre et que ce soit fini, mais ce serait trop simple et il faut que je vive pour avoir de la peine tous les jours et payer tous les jours mon imbécillité d’idiotie qui l’a fait punir…

« Et certainement ils ne m’aimeront plus, mais peut-être qu’ils feront semblant de m’aimer encore pour ne pas me faire de peine et moi je devrai faire semblant de croire qu’ils ne font pas semblant ; mais je saurai qu’ils font semblant et ce sera ma peine de tous les jours pour m’apprendre à l’avoir fait punir…

« Et cela n’aura jamais de fin, pour m’apprendre et je serai toujours malheureuse, toujours, toujours, pour m’apprendre… Et d’ailleurs, ça ne servira à rien d’être malheureuse, puisque ça n’empêchera pas que, tout à l’heure, je l’ai fait punir…

« Et je me demande s’il n’y a vraiment pas moyen de faire quelque chose qui ferait que ça ne soit pas vrai, qui ferait que je peux oublier et qu’ils peuvent tous oublier que je l’ai fait punir…