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LA MAISON DES BORIES

B majuscules qui voulaient dire « Bien », ici, là et encore : T. B., T. B., Très Bien, Très Bien…

Ces petits signes à l’encre rouge surgissaient au clair de lune, témoins d’un passé mort, comme pour le réconforter, le confirmer dans l’estime de lui-même. Mais il restait mécontent, tourmenté. Ces devoirs d’écolier modèle, que de fois il les avait mis sous le nez de Laurent : « Tiens, voilà ce que je faisais à ton âge. Tâche d’en faire autant, si tu peux, » et chaque fois il avait espéré qu’Isabelle allait convenir qu’il était à l’âge de Laurent bien plus intelligent que Laurent, — lui donner raison, enfin, une fois une seule fois ! Mais elle se taisait, levait le menton d’un air indifférent, et même un jour il avait cru la voir hausser les épaules.

Il haussa rageusement les siennes en réponse à ce souvenir, dénoua les rubans et parcourut les feuillets un à un. D’abord, il y prit plaisir. Des naïvetés, au passage, le faisaient sourire. Ailleurs, il s’étonnait devant un raisonnement bien construit, recourait à la date marquée en tête de la copie à côté des initiales rituelles : A. M. D. G. (Ad majorem Dei gloriam). Ainsi, voilà comme il pensait, à dix ans, à douze ans à quinze ans ? Sans ces témoins, il n’en aurait rien su. Il n’aurait même pas su qu’il pensait du tout. De l’enfant, du jeune homme qu’il avait été, il ne se rappelait rien, sinon une impression vague et persistante de tristesse et de crainte. Et peu à peu cette idée supplanta le plaisir qu’il prenait à relire ces œuvres puériles, l’envahit et régna seule, dans sa désolation : c’est qu’il ne restait rien de lui en réalité c’est qu’il n’existait plus dans le passé, — absolument comme s’il n’avait jamais existé. Qu’était-ce que ces pauvres épaves de lui-même, des problèmes sur le débit des robinets, la classification des vertébrés un parallèle entre Roland et Achille, Olivier et Patrocle. (Roland est preux, mais Olivier est sage… le bouillant