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LA MAISON DES BORIES

raient des hommes et des femmes, des êtres raisonnables avec lesquels on peut échanger des idées… Alors il serait content de les voir autour de lui, il se sentirait moins vieux. Mais que seraient-ils dans l’avenir, élevés de cette manière ?

« Cet odieux Laurent ! que pouvait-on attendre de bon d’une pareille nature, tolérée, encouragée par une mère aveugle ?

« Ah ! s’il n’y avait pas Laurent ! Tout était de sa faute, tout. C’était lui qui avait transformé Isabelle de cette inconcevable manière. Et au lieu de chercher à se le faire pardonner, le petit misérable, il ne savait qu’inventer pour se rendre plus odieux !

« Pourtant, il n’aurait pas demandé mieux que de l’aimer, Laurent. Avant sa naissance, il faisait des projets, des rêves. L’enfant serait intelligent, travailleur, appliqué, docile, comme son père. Il lui formerait l’esprit, il en ferait un petit savant. Ils s’en iraient tous les deux dans la montagne :

« — Tu vois, petit, ça, c’est une vallée synclinale.

« — Oui, papa.

« Au lieu de cela… Bon sang de Dieu, s’il parvenait seulement à découvrir chez Laurent une seule des qualités que sa mère lui attribue ! Sincère ? Si l’insolence aujourd’hui s’appelle sincérité, nous sommes d’accord. Inventif ? ha ! ha ! elle avait l’art des euphémismes, Isabelle. Inventif comme le démon, oui ! Artiste ? Ça, c’était le grand mot, la grande affaire ! pour deux ou trois barbouillages de gosse et parce qu’il était bon en solfège… Et après ? À quoi cela est-il bon, un « artiste » ? Quel besoin un enfant a-t-il d’être « artiste ? » Il ferait mieux d’apprendre ses leçons et de comprendre ses problèmes, et ça… bon sang de Dieu, quelle paresse et quelle stupidité ! des problèmes enfantins, ridicules, il n’y comprenait goutte ! Et quand son père l’interrogeait, il se mettait à bégayer et ne répondait que des âneries… Ah ! il