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LA MAISON DES BORIES

de ne pas recommencer » et disparaît. Ce qu’il fait ce soir encore, mais en emmenant Isabelle par le bras, comme un gendarme mène son prisonnier. Elle s’est assez occupée d’eux pour cette nuit, bon sang de Dieu ! et c’est un peu son tour…

Il la tient, il l’emmène, mais elle marche d’un air si fier et si dégagé, en levant si haut le menton, que c’est elle en vérité qui a l’air de le mener pendre…

À peine ont-ils disparu que Lise grimpe l’escalier avec une vélocité de rat, se faufile dans la chambre carrelée.

C’est une chambre de domestique inoccupée, entre le bureau d’Amédée et la chambre de Ludovic et de Marie-Louise. Nue, pavée de carreaux rouges, avec un lit de fer et une cuvette d’émail bleu posée sur un pied de bois jaune serin, elle est dévastée, le jour, par une lumière terrible. Le soir, elle est pleine de nuit opaque ou d’un clair de lune saharien. Comment expliquer l’impression de solitude, d’abandon, l’angoisse du vide que dégage, pour Laurent, la chambre carrelée ? Il claque des dents sous le féroce clair de lune, il pense qu’il va mourir là, tout seul, qu’Amédée a enfermé Isabelle à clef pour l’empêcher de le rejoindre, de le sauver, qu’il veut sa mort, oui, oui sa mort, c’est ça qu’il veut, c’est ça…

Mon Dieu, sauvé ! la Zagourette ! la Zagourette, Pétrotte, le Chat Fou ! Tout ce monde-là brille et danse, étincelle de triomphe et fulgure d’indignation.

— Pleure pas, mon Z’animal, pleure pas. Quand on sera grands, on emmènera la Z’amie avec nous dans un palais, on lui paiera des robes en dentelle blanche et des voitures à deux chevaux. Hein, dis ?

Laurent essuie ses larmes et se met à rire. Lise trotte jusqu’à la fenêtre et l’ouvre toute grande. Ah ! le merveilleux, le doux clair de lune, plein de l’haleine des fées ! Ah ! la merveilleuse, la folle aventure que cette nuit dans la chambre carrelée !