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LA MAISON DES BORIES

« Un Enfant tout-puissant, infiniment beau, infiniment juste, infiniment aimable, qui n’a jamais eu de commencement et n’aura jamais de fin… »

Dormir ? se figure-t-on Dieu en train de dormir ?



Le clair de lune, cette nuit-là, fut le seul coupable.

Anne-Marie s’éveilla brusquement, se dressa sur son séant, comme cela lui arrivait quelquefois et vit la chambre inondée de clarté. Contre le mur, au-dessus du lit de la Zagourette, l’ombre d’une branche de sorbier se dessinait en noir et imitait la silhouette d’un animal fantastique en train de sauter par-dessus la barre d’appui de la fenêtre.

La petite appliqua ses deux mains sur sa bouche pour retenir un cri d’effroi. Puis elle remarqua que l’ombre ne bougeait pas et se recoucha, toute tremblante. Aussi, ce Laurent, avec ses histoires de bête… Elle l’avait bien entendu, tout à l’heure, quand il faisait enrager cette pauvre Lise. Elle savait que c’était de la blague, naturellement, mais voilà tout de même ce qui arrive : on s’endort là-dessus, on s’éveille brusquement, on voit une ombre sur le mur et avant qu’on ait eu le temps de réfléchir, le peur vous vrille jusqu’aux talons.

La peur vous vrille jusqu’aux talons… Ce qui ne serait rien, si la peur qui vient sans raison et s’en va quand la raison la chasse, n’avait réveillé cette inquiétude qui a travaillé, battu de son flux et de son reflux, pendant des heures, l’esprit d’une petite fille réfugiée dans sa maison du champ de seigle.

Et voilà que, chose curieuse, tous les remparts qu’on avait édifiés contre elle dans la journée ont sombré dans le sommeil et qu’il ne reste plus, d’efficace, de virulent, que l’inquiétude qui n’a même plus de nom, plus de forme, — l’inquiétude seule, le sentiment