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LA MAISON DES BORIES

la bourrasque hurlante ou le gel clair. Le vent lâché sur le plateau soulevait le heurtoir de bronze, frappait à la porte sans relâche, frappait, frappait à la porte avec l’insistance aveugle des fantômes. Au dedans, le feu brûlait, la lampe brillait, l’intimité douce et menteuse tissait sa trame. Amédée, les pieds sur les chenets, se curait les ongles, regardait sa femme et songeait à la nuit. Isabelle lisait, calme en apparence, le cœur serré par une ardeur de découverte et à chaque instant qui passait, quelque chose de ce qui avait été Isabelle Comtat se détachait d’elle et sombrait silencieusement dans la mort apparente.

Avril rompit l’hiver attardé à la manière d’un fleuve qui rompt ses digues. Le plateau gorgé de neige fondue se mit à fumer sous un soleil très vite brûlant et les prés s’étoilèrent de « coucous », de narcisses blancs et d’orchis pourprés. Au jardin, semis et boutures levèrent, fleurirent en un mois et tout de suite ce fut l’été, avec des sautes incendiaires de vent du sud qui grillaient tout, des coups de vent d’ouest qui poussaient sur le plateau de courts et terrible orages, roux-cuivre et violet-foudre. Cette haute torche de l’été, à son tour, plongea tout entière dans le brouillard d’automne. Isabelle se prenait à aimer la brusquerie farouche de ce climat et goûtait le vent d’octobre, brutal et mouillé, chargé d’une saveur de terreau noir et d’amères racines. Un jour, le brouillard se résolut en neige fine et de nouveau ce fut l’hiver, les lamentations démoniaques de la tempête, la limpidité boréale des beaux matins cristallisés et, dès la tombée du jour, le retour du voyageur-fantôme qui frappait, frappait à la porte, promenait sans répit autour de la maison sa plainte aiguë, harcelante.

Amédée, satisfait, tranquille, achevait son ouvrage. Isabelle avait fait place nette et commençait le sien.