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LA MAISON DES BORIES

tement il aimait tant à rédiger des emplois du temps, des budgets, des programmes, il était si exercé dans l’art d’enfermer la vie entre des cadres et des formules… Elle avait de la chance d’être tombée sur un homme comme lui qui saurait mater ce qu’elle avait d’un peu excessif, d’un peu anarchique.

Comme ils étaient heureux ! À chaque instant il quittait son bureau, un papier à la main, couvert de chiffres et d’accolades, — le nouvel emploi du temps, la nouvelle combinaison du budget, car il en pouvait inventer à l’infini. Isabelle était à son jardin ou à son piano ou à sa toilette, mais il fallait qu’elle vînt tout de suite, tout de suite :

— Écoute… Suis-moi bien…

Elle approuvait. Une heure après, il redescendait, ayant disposé la même chose dans un ordre différent.

— Écoute… Suis-moi bien…

Elle approuvait.

Une fois, ayant cru s’apercevoir, à son regard, qu’elle ne l’écoutait pas, il lui tendit un piège, avec un plaisir qui l’étonna lui-même : il lui lut, à un quart d’heure d’intervalle, deux emplois du temps dont le premier était normal et dont l’autre supposait une journée de quarante-huit heures. Elle les approuva tous les deux.

Alors, brusquement, il se mit en colère, comme cela ne lui était jamais arrivé ni chez sa grand’mère, ni au collège. Elle ne l’écoutait donc pas ? Elle se moquait donc de la peine qu’il prenait pour elle ? Mais elle verrait si elle s’imaginait avoir affaire à un imbécile ! Il la tiendrait serré, il l’aurait à l’œil, on ne le bernait pas impunément, etc., etc… et il marchait sur elle, soulevé de colère : « Tu m’as compris ? » Tu m’as compris ? » Isabelle le regardait, avec ses sourcils étonnés, sa lèvre bien dessinée, mélancolique et dédaigneuse. Quand il eut fini, elle s’en alla, sans dire mot. Il se sentit un peu honteux et pensa