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LA MAISON DES BORIES

à une mesure, instinctive du temps qui la trompait rarement, mais se laissait parfois surprendre. Et ces surprises bousculaient, enrayaient le mouvement de comédie italienne par lequel elle escamotait habituellement les enfants, refermant sur eux la porte de gauche quand Amédée entrait par la porte de droite et inversement. Ce jeu de ballet comique, tant de souplesse, un air si candide et le rire triomphant caché sous le masque, tout cela certains soirs se trouvait rompu, figé, raté, pour une minute d’inattention, — et la comédie devenait drame, car voici qu’Amédée descendait l’escalier et les avait vus.

Il s’arrêtait, passait le dos de sa main sur ses grandes joues pâles et sous son collier de barbe, comme si son faux col lui donnait des démangeaisons. Puis il demandait d’une voix faussement surprise :

— Quelle heure est-il donc, Isabelle ?

Et Isabelle, d’un air faussement indifférent :

— Je ne sais pas au juste, mon ami, dans les huit heures moins le quart, je suppose.

Alors Amédée tirait sa montre et faisait entendre un petit rire léger :

— N-non, n-non, ma chère, il n’est pas « dans les huit heures moins le quart ». Il est e-xac-tement huit heures moins quatre.

— Bien, bien, répondait Isabelle en levant le plus dédaigneux des mentons à l’adresse de ces onze minutes de différence.

Mais M. Durras reprenait :

— Laurent, veux-tu avoir la bonté de me lire ce qu’il y a d’écrit là ?

Laurent s’approchait de l’emploi du temps affiché sur le mur et lisait en bégayant légèrement :

« Sept heures qua-quarante-cinq, coucher des enfants. Hu-huit heures, d-dîner M-Monsieur et M-Madame, »

— Et M-Madame, répétait Amédée en se moquant.