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LA MAISON DES BORIES

chose de scandaleux et, pour tout dire, d’impie.

— Corbiau ! Corbiau !

Elle se pencha sur le ravin, une petite combe pierreuse, pleine de phlox mauves et de framboisiers, qui séparait le plateau de la croupe montagneuse dont il était la terrasse avancée. Elle fit le tour de la ferme, traversa la lande de bruyère, longea le champ de seigle :

— Corbiau ! Corbiau !

Elle semait des appels un peu partout, mais ne cherchait pas à découvrir la cachette, respectant cet étrange besoin qui poussait la petite à dérober sa vie.

« Si elle n’avait pas eu ses « terriers », elle aurait creusé sa retraite en elle-même encore plus profondément et alors comment la délivrer des poisons qu’elle sécrétait à son propre usage, sensible et taciturne, docile et rétive, voyant juste, raisonnant loin, parfois, et agissant à faux, et toujours à la recherche d’on ne savait quoi, pareille à un mineur égaré dans des galeries obscures ? »

— Corbiau ! Corbiau !

« Comment une femme aussi vaine avait-elle pu faire une enfant comme celle-là, qui prenait tout terriblement au sérieux ? Nulle, cette Lydie, complètement nulle. Ni cœur, ni cerveau, ni caractère. Rien que le besoin de jouer un rôle et de mentir à jet continu pour être admirée. Une hystérique. Il fallait bien être hystérique pour s’affoler d’un museau d’homme et abandonner son enfant. »

— Corbiau ! Corbiau !

« Et ce pauvre grand benêt de Charles qui s’était laissé mourir là, bêtement, comme un bœuf. Pour une catin à la cervelle creuse ! Cette sottise des hommes, ce goût profond de la frivolité qui était en eux, cette non-conscience des devoirs essentiels… Il n’aurait pas pu s’obliger à vivre pour sa fille, non ? Ce n’était pas aussi intéressant qu’un jupon, peut-être ? »