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LA MAISON DES BORIES

active et de douceur monastique qui contrastait avec la fièvre de son mince visage passionné.

Amédée regardait ces mains, et il se souvint tout à coup de ce jour où Isabelle lui avait fait un gâteau pour sa fête et crut entendre encore à son oreille la voix rieuse de Lise, qui babillait en le tirant vers la salle à manger par la manche de son veston : « Viens voir un peu ce que ta femme t’a fait, avec ses mains d’ivoire… Tiens ! regarde… Tu crois que c’est pas un ange, ta femme ? »

Ce souvenir de gâteau, la vue de ces mains sur le drap achevèrent la déroute de son esprit. Qu’était-il venu chercher ici ? Qu’est-ce que tout cela signifiait ? Il avait pris le train comme un fou pour aller châtier une femme doublement criminelle, un monstre, et il s’était jeté tête baissée contre un mur. Puis le mur s’était écarté et voici qu’il trouvait dernière la figure familière de sa femme, celle qui lui faisait des gâteaux pour sa fête, celle qui lisait sous la lampe, celle avec qui il se querellait, comme tous les maris avec toutes les femmes, celle qui avait une peau douce et blanche et odorante, celle qui ne l’avait pas trompé parce qu’elle se moquait bien de « cette histoire » et que tous les freluquets du monde perdaient leur temps auprès de cette nature sage et froide, uniquement occupée de ses enfants et de sa petite vie d’intérieur…

Il la regarda, vit encore une autre femme : celle dont les paupières tendues comme des voiles bistrées sous l’arc des sourcils appareillaient pour de longs voyages où il n’était pas convié, celle qui disait d’une voix douce et inflexible ; « Tout ça n’est rien, rien du tout… »

À ce moment, le regard d’Isabelle croisa le sien. Il éprouva la sensation d’un choc physique et recula, repoussant son fauteuil contre le mur, devant le bouleversement subit qui convulsait les traits de ce visage tout à l’heure paisible. Elle