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LA MAISON DES BORIES

Allez, allez, mais allez donc, qu’est-ce que vous attendez ? « Feu du Ciel ! reprit-elle avec rage, au bout d’un court silence, je pleurerais des larmes de sang d’avoir eu la bêtise de rester fidèle à cet homme-là, si c’était vraiment à cet homme-là que je suis restée fidèle… »

— Enfin, balbutia Amédée, ce Kürstedt… Est-ce vrai ou non qu’il vous a demandé de partir avec lui ?

— C’est vrai, répondit-elle avec un regard écrasant. Et après ?

— Et vous ne me l’avez pas dit ? Voilà la confiance que vous avez en moi ?

— « À combien aviez-vous estimé ma peau, deux crapules ? » reprit Isabelle, en imitant la voix haineuse de son mari. Voilà la confiance que vous avez en moi ?

— C’est de votre faute, répliqua-t-il d’un ton raide. Tout est de votre faute, tout.

Mais il se sentait perdu. Elle le regardait de nouveau comme tout à l’heure, après sa crise de fou rire, comme si son regard avait dû faire un long voyage au fil de l’eau, passer sous le pont chinois des sourcils avant de l’atteindre, lui, tout lointain, tout petit.

— Pauvre être ! murmura-t-elle d’une voix rêveuse. J’aurais pu vous tromper, c’était si facile. Il y a des femmes qui appellent cela se venger. Vous autres hommes, vous attachez tant d’importance à cette histoire… Pauvres êtres ! tout ça n’est rien, rien du tout.

Elle se tut, sourcils levés, bouche pensive, contemplant sans doute en elle-même ce qui pour elle était quelque chose et que tous les « pauvres êtres » ne connaîtraient jamais.

Ses mains abandonnées jouaient machinalement sur le drap, — des mains grasses et blanches, aux doigts ronds. Elle les soignait à la pâte des Prélats et il y avait en effet dans ces mains une expression de paix