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LA MAISON DES BORIES

siblement ses hautes paupières et regardant cet homme qui lui paraissait de plus en plus lointain et comme faiblissant de minute en minute. Seulement, voyez-vous, mon pauvre Amédée, vos menaces, vos tribunaux, vos lois, vos gendarmes…

Elle fit un geste de la main droite, en l’air, comme pour se débarrasser d’un duvet de chardon, et acheva en lissant le drap du plat de sa main gauche, avec douceur :

— Tout ça n’est rien. Rien du tout.

Amédée se laissa tomber dans un fauteuil, les jambes molles, la tête bourdonnante et vide, comme s’il venait de donner du front contre un mur.

Un mur. Voilà ce que c’était que cette femme. Non cette… chose qu’il avait en face de lui. Un mur. Et derrière le mur qu’y avait-il ? Un monstre ? Une folle ? Une bête sauvage ? Ou cette jeune fille aux sourcils étonnés qui regardait le feu dans un salon de province, son petit escarpin verni passant le bout du nez sous sa jupe de taffetas rose ? Cette douce jeune fille, si jolie, si douce, pleine de silence et de réticences sous son manteau de cheveux bruns et qui ne savait pas ce que c’était que la fureur, qu’aucune sorte de fureur ? Cette jeune fille devenue jeune femme, qui avait vécu quelques mois dans la maison des Bories, et qui avait disparu un beau jour, on ne savait comment, pour aller on ne savait où ? Oh ! comme il aurait voulu la retrouver, celle-là ! S’il avait pu la retrouver, il aurait su mieux s’y prendre, il aurait fait bien attention et elle ne serait pas partie… Mais chaque fois qu’il prenait son élan pour essayer de la rejoindre, il se heurtait à un mur.

Si Amédée avait su que Carl-Stéphane, qu’Isabelle aimait, s’était brisé contre ce mur, aussi bien que lui, qu’elle n’aimait pas. S’il avait su que ce qu’il voyait devant lui c’était bien Isabelle, mais Isabelle habitée par un dieu exigeant qui l’avait choisie pour