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LA MAISON DES BORIES

hippocampe que jamais et répétait d’un ton pénétré : « Eh bien ! j’espère, mes enfants, que petit père a de beaux succès ! » comme s’il venait d’obtenir un 10 sur 10 en orthographe ou en arithmétique.

Puis il leur donna à chacun vingt sous « pour les dépenser comme ils voudraient », Puis il chercha ce qu’il pourrait bien faire encore pour leur faire plaisir et contenter son besoin d’expansion et leur annonça qu’il venait de terminer son livre et se donnait congé pour toute la journée. Là-dessus, Mlle Estienne demanda la permission de descendre à Saint-Jeoire où elle avait justement à faire jusqu’au soir et elle partit, chargée de trois pièces d’un franc et de multiples commissions, laissant les enfants à la garde d’un homme heureux.

Tous les quatre se mirent à table à midi juste. Les enfants, qui déjeunaient habituellement à onze heures et demie, avaient faim et soif. Laurent se versa de l’eau.

— On ne boit pas avant de manger, dit M. Durras. Jette-moi ce verre d’eau. Tu boiras quand tu auras mangé ton omelette.

— L’omelette, ça étouffe, fit observer Laurent.

— Pas de réflexion. Mange et tais-toi.

L’enfant prit une toute petite portion d’omelette mais son père le surveillait et l’obligea d’en reprendre avant de boire. Le tic des mauvais jours commença de tirailler les paupières de Laurent. Enfin il put avaler son verre d’eau avec un soupir d’aise si ostentatoire que M. Durras fronça les sourcils. Une atmosphère d’inquiétude succédait autour de la table à l’allégresse de tout à l’heure. Lise se taisait, le Corbiau regardait obstinément la nappe et M. Durras, irrité de sentir la joie le fuir, pensait : « Lui ! toujours lui ! »

Là-dessus, Antonin apporta le coq bouilli, accompagné de riz et d’une sauce blanche. Laurent se servit largement de riz et refusa le poulet.