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LA MAISON DES BORIES

Les trois échangèrent un coup d’œil rapide et abaissèrent sur leurs mains trois paires d’yeux où l’envie de rire piquait des étincelles. Ils auraient bien voulu ne pas se moquer de Mlle Estienne, qui était douce et jolie et cambrait la taille comme le plus distingué des hippocampes dans sa ceinture de gros grain baleiné. Mais comment ne se rendait-elle pas compte que cette appellation de « Petite mère » appliquée à Isabelle était aussi risible qu’une capeline à rubans sur la tête d’un chat sauvage ?

— Eh bien ! voyons, vous n’y mettez pas plus d’empressement ? Ce n’est pas gentil. Une petite mère qui vous aime tant ! Il ne faut pas être des enfants égoïstes. Voyons : prenons tous les trois une jolie feuille de papier et écrivons. Je vais vous dicter à chacun une petite lettre. Lise d’abord, parce quelle est la plus jeune. Vous y êtes Lise ?

« Ma chère petite maman,

« J’espère que tu vas de mieux en mieux et que le docteur est content de toi… »

— Médecin, demanda Lise, est-ce que ça prend une cédille sous le « c » ?

— Mais pourquoi médecin ? Je vous dis « docteur ».

— Docteur, mademoiselle, ça fait poseur, répliqua Lise d’un air gracieux et poli.

Et elle écrivit :

« J’espère que le médecin (médeçin) est content de toi » encore qu’elle trouvât cette phrase complètement idiote (pouvait-on imaginer quelqu’un qui ne fût pas content de la Z’amie ? Et s’il n’était pas content, en vérité, il n’avait qu’à aller se faire pendre ailleurs !) mais elle désirait faire plaisir à Mlle Estienne.

L’institutrice dicta trois lettres, qui disaient la même chose en des termes différents, — mais celle du Corbiau commençait par « Ma chère petite tante » ce qui les fit éclater de rire tous les trois. Pourquoi ? Qu’y avait-il de drôle à ces mots usuels ? Puis elle