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LA MAISON DES BORIES

mençait la Zagourette de sa voix de clochette voilée, tintant à travers une eau profonde. Cette voix vous promenait à travers des forêts magiques où princes et princesses, enchanteurs et fées foisonnaient comme pinsons et pinsonnes, comme loriots et mésanges, pêle-mêle avec les fleurs et les pierres précieuses, les hurluberlus et les calembredaines. Il y avait aussi des loups débonnaires, tellement bavards qu’ils en oubliaient de manger et des « crocrodiles » qui n’avaient de terrible que le nom. La Zagourette ne pouvait se figurer autrement le danger, n’importe quel danger : un mot inventé pour faire peur aux gens, une manière de « crocrodile ». On n’avait qu’à le regarder en riant et en secouant ses boucles et le monstre, tout décontenancé, essayait à son tour un sourire confus de quarante-deux dents. Et Isabelle qui rêvait, les lèvres perdues dans la chevelure ensoleillée de sa petite fille, se demandait si cette conception du mal était chez elle un trait d’enfance ou un trait de nature et se disait que plus tard il y faudrait veiller.

« Et puis z’alors, à force de raconter à force, à force, moi j’ai plus de langue. Alors maintenant je dis plus rien et le Z’animal va nous faire le Poulailler surpris par un Renard. »

Le Z’animal se faisait un peu prier, avec des mines de grande vedette. Mais peu à peu son corps hanché sur une seule jambe, son cou, sa tête penchée suggéraient le sommeil et voici qu’il roulait au fond de son gosier, derrière la barrière des dents, un ronchonnement nonchalant de volaille qui rêve. Aussitôt l’auditoire se trouvait plongé dans une obscurité vaguement éclairée de reflets de plumages, dans l’odeur chaude et fade du poulailler endormi.

Un souffle rôdeur, coupé de silences, un mouvement sinueux de la main, traduisent l’entrée furtive du renard. À peine un son enroué, filé par le coq, a-t-il révélé le cheminement d’une obscure inquiétude que