Page:Ratel - La Maison des Bories.pdf/218

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
212
LA MAISON DES BORIES

pour se croire au pôle. Chientou figurait tour à tour un traîneau tiré par une douzaine de chiens de traîneau, un Esquimau, un phoque, un ours blanc, une banquise. On risquait une expédition jusqu’à la factorerie de la baie de Baffin, où Bichette mastiquait son avoine dans un parfum de cuir et de crottin, dans la chaleur des fourrures.

Les explorateurs avaient si chaud qu’ils enlevaient leurs guêtres et pataugeaient dans la neige, entre la maison et l’écurie, jambes nues jusqu’aux cuisses. Le feu caché dans le froid les brûlait et Isabelle au retour enduisait de lanoline leurs membres gercés en respirant sur eux, à grandes goulées, une odeur d’eau pure et de plein vent.

La nuit venue, les leçons apprises et les devoirs faits, Lise grimpait sur les genoux de sa mère, Laurent montait sur le siège de son fauteuil et lui passait les bras autour du cou et le Corbiau, assise à ses pieds, tout contre elle, appuyait la tête sur ses jambes ! Leur groupe formait ainsi une figure hindoue à seize membres et quatre visages, voguant paisiblement au fil des histoires, entre le feu et la nuit.

C’était tantôt Isabelle qui contait, tantôt Lise, tantôt Laurent. Chacun avait sa manière et son répertoire. Isabelle brodait sur le fonds inépuisable des contes rustiques, où les hommes font la bête et où les bêtes font l’homme, et de ces fabliaux malicieux où l’esprit païen se venge en riant des puissances chrétiennes, lançant le curé à la poursuite du diable qui n’est qu’un cochon égaré dans l’église, faisant jurer le tonnerre à l’enfant de chœur qui vient d’estourbir, en battant sa coulpe, le merle déniché à l’aube et caché entre chemise et poitrine. Elle contait en patoisant, avec un petit œil rigoleur de paysan sceptique et les enfants, saouls de gaieté, se renversaient dans ses bras comme des javelles.

Quand on avait bien ri : « Et puis z’alors, » com-