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LA MAISON DES BORIES

la contemplation du dernier numéro de la Mode Pratique dont la couverture en couleurs représentait la mode printanière de 1907 : une dame moulée dans une robe princesse gris souris, à traîne balayeuse et coiffée d’un grand chapeau à plumes. Isabelle tenait son aiguille d’une main, son ouvrage de l’autre, comme un alibi. Le poignet suspendu, le visage attentif, elle écoutait le pas.

— Non, dit-elle, c’est Ludovic.

En effet, le pas tourna court, gagna le fond du couloir où se trouvait la cuisine. Une porte s’ouvrit et se referma et la maison tranquille appartint de nouveau aux bruits intermittents du dehors : l’aboiement du chien, la clameur d’une poule ou le chant boiteux et rouillé des pintades : kékouék, kékouék, kékouék…

— Allez, dit Laurent avec un petit saut de kangourou. On va chercher les camarades.

Mais avant de sortir, ils embrassèrent encore une fois Isabelle, en appuyant fortement, à plusieurs reprises, leurs paumes contre ses joues, ses épaules et ses bras, comme pour prendre une empreinte. C’était son odeur qu’ils voulaient emporter avec eux, la fine odeur de benjoin de sa peau, sous la poudre à la violette.

Dehors, ils appelèrent Chientou et tous trois trottèrent de compagnie jusqu’à la gare de l’Églantier. Tant pis pour le Corbiau, on dirait aux camarades qu’elle était en voyage.

L’églantier fleuri bordait un chemin creux, le long d’un maigre pâturage, le seul de ce plateau des Bories, tout en seigle, en sombre verdure de pommes de terre, en landes de bruyère ou en prés marécageux, constellés au printemps de narcisses blancs et d’orchis pourprés et le reste du temps, roussâtres comme l’incendie.

Dans ce pâturage, le fermier mettait ses veaux à l’engrais et parfois l’un d’eux venait offrir par-dessus