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LA MAISON DES BORIES

appelle un bon caractère et elle se montrait aussi chatouilleuse sur le chapitre des « z’histoires » que sur celui de la vitesse limite accordée au train des filles.

Laurent la considérait de haut, la narine retroussée, l’œil pétillant, comme il eut regardé un oiseau-mouche en colère.

— Oncle Amédée, demanda tout à coup le Corbiau Gentil, voulez-vous faire une partie de dames avec moi ?

— Je veux bien, dit-il enchanté, car il aimait en premier le jeu d’échecs, et en second, le jeu de dames. Il pensait qu’avec une petite fille, ce ne serait qu’une partie pour rire. Aussi son étonnement fut grand quand, au bout de dix minutes d’un jeu négligent, elle lui rafla sept pions et fit dame et qu’il découvrit tout à coup son plan, fort bien mené depuis le commencement. Cela raisonnait donc parfois comme un adulte, un enfant ?

Il contre-attaqua, elle se défendit. La partie dura longtemps. Les deux autres s’étaient envolés et faisaient à eux seuls, dans la cour, plus de vacarme que les pintades. Mais Amédée ne les entendait pas. Il marchait de surprise en surprise.

— Savez-vous que la petite Anne-Marie est étonnante ? dit-il le soir à Isabelle, qui cousait auprès de son lit, à la veillée.

Elle posa son ouvrage sur ses genoux, leva les sourcils et regarda son mari avec une moue doucement ironique.

— Elle réfléchit, elle calcule. Elle est bien plus intelligente que les autres enfants de son âge.

— Combien avez-vous observé, dans votre vie, d’enfants de son âge pour pouvoir énoncer une idée générale sur l’intelligence des enfants de cet âge ? demanda Isabelle, d’une voix suave.

— Il n’y a pas moyen de raisonner avec vous, bougonna M. Durras en haussant les épaules.

Le lendemain, il se mit en devoir d’initier la petite