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LA MAISON DES BORIES

monter le bruit des rafales. Remettez-vous, Stéphane. C’était un coup de folie. Il faut oublier. Mon mari vivra et pour tout le monde Ludovic sera le coupable. Mais comment se trouvait-il là ? Étiez-vous… complices ?

— Ludovic ? répéta lentement le jeune homme, en fronçant les sourcils avec effort.

— Vous ne l’avez pas vu ? Vous ne savez rien ? Je l’ai trouvé sur la route tout à l’heure, mort, foudroyé. Il avait un revolver. Était-ce le vôtre ou le sien ?

Elle pariait toujours en criant, la bouche près de son oreille, comme on parle aux sourds. Et lui faisait un effort terrible pour comprendre ce qu’elle lui disait, qui devait avoir pour lui une importance capitale et qu’il n’arrivait pas à comprendre, à cause de cet essaim qu’il avait dans le cerveau, qui faisait tant de bruit, toujours le même bruit :

— Je lui ai tiré dans le dos… Je lui ai tiré dans le dos…

Les rêves les plus fantastiques ne lui avaient jamais produit pareille impression d’incohérence et d’impuissance. Où donc, en quel lieu inaccessible pourrait-il trouver le sens de ces mots que quelqu’un à côté de lui, criait à tue-tête, ces mots qui devaient avoir un sens capital :

— Foudroyé, tué par la foudre, comprenez-vous ? Était-il à vous, ce revolver ? Le revolver, Stéphane, est-ce que vous m’entendez ? Le re-vol-ver à côté de Lu-do-vic… Mon Dieu, est-ce qu’il est devenu fou ?

Il n’était pas fou. Il le serait peut-être devenu si rien n’avait obligé son esprit à s’arracher à l’inconscience qui menaçait de l’engloutir. Pour le moment, il avait oublié tout ce qu’il savait de lui-même avant le coup de revolver, et en même temps, tout ce qu’il savait de français, excepté un mot : « moi » et une phrase : « Je lui ai tiré dans le dos… » Mais son cerveau travaillait comme il n’avait jamais travaillé. Il tra-