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LA MAISON DES BORIES

Il posa un pied sur le marchepied, saisit d’une main le montant du siège, mais il lui fallut s’y reprendre à trois fois avant de parvenir à coordonner ses mouvements. Il ruisselait comme un rat tombé dans une flaque. Isabelle le regardait, les yeux agrandis, la bouche tordue par une grimace de stupéfaction douloureuse. C’était donc vrai ? C’était donc vrai ?

Elle craignait et appelait ses premiers mots. Il se pencha vers elle :

— Je lui ai tiré dans le dos, articula-t-il péniblement avec un accent étranger beaucoup plus prononcé qu’à l’ordinaire.

Elle remit machinalement la jument au trot, d’un clappement de langue. Il ne fallait pas perdre un instant, Chientou poussait son nez contre les vêtements trempés du voyageur.

— Ce n’est pas possible ! marmottait Isabelle, parlant à la nuit, à la pluie. Ce n’est pas possible !

Elle tourna brusquement la tête vers lui, pour le regarder, pour se convaincre. Il sentit son mouvement, la regarda aussi :

— Moi, moi, reprit la voix lente, appliquée et gutturale, je lui ai tiré dans le dos. Je lui ai tiré dans le dos.

— Il faut que vous soyez devenu fou ! Comment avez-vous pu…

La tête de Carl-Stéphane s’inclina sur sa poitrine. Il soupira profondément et murmura quelque chose pour lui tout seul. Isabelle se pencha. Il répétait :

— Je lui ai tiré dans le dos…

— Il n’est pas mort, dit-elle. Il ne mourra pas. Oh ! comment avez-vous pu… Mais qu’espériez-vous donc ? s’écria-t-elle avec une soudaine violence.

Pas de réponse. La pluie mâchait à millions de mâchoires le gâchis boueux des ornières. Un craquement sec éclata sur la droite et une petite bille de feu bien ronde serpenta vivement sur la route inondée, à deux