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LA MAISON DES BORIES

se disant avec une sorte d’insensibilité anesthésique qu’il fallait montrer à cette femme ce qui l’attendait, là-bas, et qui devait être le comble de l’horreur. Ensuite, elles tiendraient conseil.

La surprise lui arracha un autre cri, un cri de soulagement farouche ;

— Ah ! Ludovic ! C’est Ludovic ! Ah ! c’est trop beau ! Ah ! la crapule ! c’est trop beau !

La lumière jaune de la lanterne, constamment dévorée par la lueur des éclairs, tombait sur la face intacte de Ludovic, yeux béants, bouche ouverte, et sur le haut de son corps. Le revolver brillait contre son flanc, comme un innocent caillou noir tombé au milieu des feuilles.

Isabelle recouvrit le cadavre en frissonnant et se redressa. Il lui semblait qu’elle n’avait plus rien à faire sur cette route. Mais si : il fallait aller chercher le médecin à Chignac, téléphoner au Puy pour faire venir un chirurgien, si le médecin se déclarait incompétent…

La jument renâclait de terreur en franchissant l’obstacle, tenue par la bride sous le mors. Elle partit comme un trait dès qu’Isabelle fut remontée sur son siège. C’était, par bonheur, une bête docile et paisible, qui ne s’était jamais emballée de sa vie et qui possédait une vieille expérience des orages, même aveuglants, cinglants et tourbillonnants comme celui-ci. Mais elle conserva de cette course une extrême nervosité en face des branchages tombés qui barraient une route, recouvrant on ne savait quoi.

Elle allongeait le trot, allongeait le cou, et battait des quatre fers quand une rafale de vent lui envoyait en travers des pattes, à la volée, un grand coup de pluie froide.

— Stop ! cria Isabelle en tirant sur les rênes. Où allez-vous ? Montez !

Carl-Stéphane leva sur elle un visage sans regard.