Page:Ratel - La Maison des Bories.pdf/186

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
180
LA MAISON DES BORIES

tille et plus intelligente, pensa-t-il. Au moins, elle n’avait pas peur de lui. Fallait-il qu’un enfant eût la conscience chargée pour avoir peur de son père !

— Qu’aviez-vous parié, Lise, raconte-moi ça ?

Elle n’hésita pas.

— On avait parié que tu nous rapporterais des bonbons.

On, qui ça on ? Toi, tu avais parié pour les bonbons. Et Laurent, pour quoi avait-il parié ?

— Laurent ? Eh bien, Laurent, il avait parié pour des pétards.

— C’est toi qui as gagné, dit M. Durras en souriant, tu auras la part de ton frère. Et toi, Anne-Marie, tu n’avais rien parié ? Pourquoi me regardes-tu avec ces yeux ronds ? On dirait que tu ne me reconnais pas ?

— Oh ! mais si, oncle Amédée, répondit une petite voix sage, à peine perceptible, du fond des coussins.

Amédée se retourna vers sa femme. Avec les enfants, la conversation était vite épuisée.

— Je crois que nous aurons tout juste le temps de rentrer, dit-elle en désignant du bout du fouet les nuées basses.

La nuit approchant avec l’orage, la campagne prenait un aspect cadavérique. Des masses de violet cendreux s’accumulaient au creux des haies, comme un reflet pâli des nuages violet noir, couleur de plaie empoisonnée, qui descendaient lentement vers la terre, d’une seule pesée. Tout se taisait, sauf l’appel monotone que lançait par intervalles un crapaud perdu dans un champ, — et cette note cristalline et résignée s’élevait tantôt à droite, tantôt à gauche, tantôt près, tantôt loin, faible, unique, obsédante, omniprésente inoubliable.

Lorsqu’ils arrivèrent au bas de la dernière côte, des roulements de barriques encore sourds et lointains préludaient de l’autre côté du plafond de nuages.