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LA MAISON DES BORIES

elle avait aperçu la silhouette du jeune homme et parcourut les alentours à pied.

C’était la saison des oronges et la petite ville était emplie de l’odeur des champignons, entassés dans les rues à même le pavé et que des paysannes triaient, assises sur le revers de leurs jupes noires, avant de les mettre en sacs pour l’expédition.

Plus tard, Isabelle devait se souvenir de cette odeur de mousse et de cuir neuf et garder le souvenir de son tailleur de serge bleu marine et de ses souliers de peau grise circulant avec précaution parmi les éboulements d’oranges éclatantes et vernies, pareilles à des œufs de Pâques dans leurs coques de daim blanc.

Elle ne trouva personne et reprit le chemin des Bories, pensive, inquiète. Que faisait Carl-Stéphane à Chignac, alors qu’elle le croyait à Paris ? Pourquoi lui avait-il menti ? Pourquoi se cachait-il ?

Elle se promit de revenir un jour prochain, de le retrouver et d’éclaircir cette énigme, qui la tourmentait plus que de raison.

Mais la semaine passa sans qu’elle eût le loisir d’exécuter son projet. En attendant les nouveaux domestiques, il fallait tout faire à la maison. Laurent avait proposé, flambant de zèle : « Ma Gentille, si tu veux, je remplacerai Ludovic pour tout le temps. Je sais très bien bêcher le jardin et soigner Bichette. Toi, tu sais faire la cuisine et conduire la voiture. Puisque tu dis toujours qu’on n’est pas riche, ça nous fera une économie…

— Dis donc, mon gros, avait-elle répliqué, si je voulais faire de toi un jardinier et un garçon d’écurie, crois-tu que je dérangerais Mlle Estienne pour te donner des leçons ? C’est très bien de savoir bêcher le jardin, soigner Bichette, faire la cuisine et conduire la voiture. Mais il faut aussi savoir faire quelque chose de mieux. La véritable économie, c’est de travailler de toutes ses forces à ce qu’on peut faire de