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LA MAISON DES BORIES

Stéphane soit parti seulement pour « une dizaine de jours ». Pourquoi avait-il dit au revoir à tout le monde avec un air… avec un air… avec l’air qu’on a quand on s’en va pour longtemps ?

Vers le soir, Isabelle est redescendue. Elle allait un peu mieux et tout le monde a repris vie. Assise au piano, Laurent à ses pieds, sur un petit tabouret, attentif et paisible, elle joue aux enfants la marche des Rois Mages, qu’elle a composée pour eux. Lise, un doigt levé, écoute les voix graves, les voix barbues des Mages arrêtés dans le désert, sous les étoiles, et cherchant le chemin de Bethléem. Elle les voit, solennels et chargés de présents, tels qu’ils passent dans l’air, avec leurs coffres et leurs chameaux, leurs barbes et leurs couronnes, lorsque revient la nuit de l’Épiphanie et qu’ils déposent sur des lits d’enfants, dans la maison des Bories, des oranges et de merveilleuses petites galettes cuites au feu du désert.

Et le Corbiau se demande quel est ce chemin que Carl-Stéphane doit suivre tout seul, s’il ne risque pas de se perdre en route et s’il rencontrera l’étoile et les Mages pour le ramener aux Bories, comme un roi, avec l’or, la myrrhe et l’encens.

Et Laurent tend l’oreille aux accords en mineur et pense que sa mère est belle.

Et Ludovic, en passant dans le couloir, grimace un sourire de haine et crache sur la porte du salon.

Et Marie-Louise, dans la cuisine, prépare tristement son dernier potage.



Cette nuit-là, Isabelle ne put fermer l’œil avant l’aube. Les trois petits dormaient dans son lit et elle à demi nue, maudissant l’étouffement des plafonds, allait et venait sans bruit du lit à la fenêtre, de la fenêtre à la porte et de la porte au lit. Tantôt elle