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LA MAISON DES BORIES

Les filles se sont sauvées, criant et se cachant les yeux. Laurent reste là, horrifié et fasciné, les mâchoires serrées, les cils battants. Ludovic descend lentement les échelons, dos à l’échelle, maintenant la fourche en l’air.

— Tu les vois, mon p’tit Laurent ? Tu les vois les rats ?

Il rit et de sa main libre caresse le cou nu, ce cou de fille qui jaillit de la blouse échancrée et où une petite artère bat à la naissance de la gorge.

Laurent regarde la fourche et serre les dents sur un grandissant malaise. Il ne va pas s’évanouir, tout de même ? Ludovic se moquerait de lui. Pourtant, c’est la même sensation que le jour où il s’était coupé profondément la jambe et passait son doigt sur la coupure. Cela faisait à la fois du mal et du bien — et tout d’un coup l’horizon s’était mis à tourner comme une toupie…

— Regarde, mon vieux pointu.

Ludovic posa la fourche à terre, dégagea un des ratons, du bout de sa chaussure, et l’écrasa minutieusement sous son talon, comme une groseille.

Laurent vit le plancher se soulever jusqu’à son menton, ferma les yeux et se laissa mollement glisser à la rencontre du plancher.

— Ben quoi, dit Ludovic, t’es poulette à ce point-là ? C’est malheureux quand même, faut bien te dresser…

Le Corbiau Gentil s’était enfui dans un de ses terriers, Dieu sait où. Lise, dans la cour, tournait sur elle-même, frappait le sol du pied et se pressait le front. Mais elle a beau supplier son esprit inventif de lui fournir une raison de ne pas croire à la souffrance des rats, l’esprit renâcle. Toutes les « z’histoires » du monde n’empêcheront pas que les ratons n’aient senti passer la fourche au milieu de leur petit ventre gras. Ils ne pourront plus jamais trotter sur leurs