— La caille ?… répéta la voix gutturale, d’un ton absent.
Il y eut un silence, comme si les deux voix s’étaient envolées à la suite de la caille.
— Ah ! Madame, reprit tout à coup Carl-Stéphane avec une sourde véhémence, si je pouvais vous convaincre !
Ils étaient toujours là, deux présences opaques dans la lumière, deux voix alternées qui interrompaient tour à tour le bourdonnement continu du champ, — et c’était à chaque fois comme lorsqu’on s’éveille la nuit en chemin de fer, à un arrêt du train, et que des paroles au timbre insolite s’entre-croisent dans le wagon obscur.
— Me convaincre de quoi ?
— De la nature de ce danger que vous bravez tous les jours, donc. Si je vous disais…
— Quoi ? N’ayez pas peur de ce que vous avez à dire.
— Vous vivez avec un mort, lança la voix assourdie, d’un seul trait.
— Un mort ?
— Croyez-vous que les morts soient dans la terre ? Non, non, ne croyez pas. Il n’y a dans la terre que les dépouilles, ce n’est pas le vrai de l’homme. Le vrai de l’homme parcourt un cycle sans fin et s’il a mérité de vivre, il vit en se perfectionnant de plus en plus. Mais s’il a déchu pour une raison ou une autre, il reste mort pour la durée d’une ou de plusieurs existences. Non pas mort à la façon des corps, mort à la façon des âmes, mort vivant et conscient de sa mort et souffrant horriblement d’être mort parmi les vrais vivants, vous concevez cela ?
— Non, c’est-à-dire… oui et non. Comme une fable ?
— Ah ! la plus triste réalité, donc ! Des hommes, des femmes comme tout le monde. Il faut bien les