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LA MAISON DES BORIES

C’est pourtant vrai qu’il est son mari.

Pourquoi cette idée me parait-elle inconcevable ? Et pourtant, est-ce une illusion ? Il me semble parfois que cette idée est aussi inconcevable pour elle que pour moi. J’en viens à me demander s’il existe vraiment, si ce n’est pas un simulacre, comme dans les contes, un mauvais enchantement qu’un mot va dissiper.

D’autres fois, je me dis que la vie n’est pas un conte et qu’au regard d’une loi morale rigoureuse, ces pensées rentrent dans la catégorie des « pensées criminelles ». Si cela est, il faut bien avouer que le remords n’est pas toujours le compagnon du crime.

Mais si je me demande où je vais… Je n’en sais rien. Je ne veux même pas essayer de le savoir. Je voudrais que le temps s’arrêtât, c’est tout.

Je ne lui ai jamais dit un mot que ses enfants n’aient pu entendre. Mais qu’est-ce que cela signifie, les mots qu’on dit ? Elle entend bien mieux ce que je pense, mais elle fait celle qui n’entend pas. Peu importe. Je ne demande rien, je ne veux pas me présenter dans cette maison comme un mendiant, mais comme un donateur. Que donner ? Je ne sais pas, mais j’ai la conviction que je finirai par le savoir. Je ne suis pas pressé, — oh ! tellement peu pressé !… Et peut-être est-ce lâcheté de ma part, refus inconscient, ce souhait d’arrêter le temps…

Elle est comblée et elle les comble. L’Éros subtil, total, les baigne. Ils respirent en lui, ils s’y meuvent, ils en sont comme phosphorescents. L’amour en deçà ou au delà du sexe. En devenant hommes, nous perdons la clef de ce monde-là. Quand j’étais petit, les jours où ma mère consentait à me laisser jouer dans sa robe, bientôt je m’immobilisais et me gorgeais de sa présence comme une éponge se gorge d’eau marine. Si elle m’avait aimé comme je l’aimais, elle aurait