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LA MAISON DES BORIES

abandonné. À la longue, il se venge. Vos quatre figures finiront par se liguer contre vous, si vous ne leur rendez un petit culte. Au moins, faut-il en élire une.

— Eh bien ! répond-elle, riant toujours, je choisis la sauvage. C’est elle qui a le plus de sang, vous ne croyez pas ?

— Je crois, madame, que vous avez la religion du sang. Votre respectable hôtesse pourrait bien être une Inca.

— La religion du sang ? répète-t-elle, frappée, soudain sérieuse. C’est juste. Aussi, je n’aime guère qu’on m’abîme le mien.

Elle dit cela avec un coup d’œil qui vaut un coup de lance. Ce cannibalisme sacré qu’il y a dans l’amour des femmes, même le plus pur…

Je crois qu’elle tuerait avec une aisance…

Pourtant elle aime trop la vie pour admettre le meurtre — du moins de sang-froid. Mais il doit y avoir au fond d’elle-même quelque chose qui révère le sang versé.

Se rend-elle compte du danger que représentent pour elle les forces primitives qui l’habitent ?

Nous en sommes tous là, au fond, mais tout ce qui la touche revêt un caractère de grandeur religieuse et barbare, qui ne s’embarrasse d’aucune complexité.

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28 juillet. — Comme je me promenais aux alentours de la maison, retardant — par plaisir l’instant où je devrais y entrer, le Gentil Corbiau est venu se placer à côté de moi, soudainement et sans bruit, à sa manière habituelle de petit fantôme nocturne, qui surgit d’un fossé et s’évanouit dans un champ de coquelicots.

Un moment, nous avons marché sans rien dire, moi un peu embarrassé d’avoir été surpris, elle, cueillant au bord du talus des fleurs mauves de plantain qu’elle arrange en un petit bouquet.