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LA MAISON DES BORIES

parfum doux-amer, miel et tisane sauvage, et j’ai besoin tout à coup de sentir le sol contre moi et je m’allonge dans l’herbe en riant comme on pleure et j’y enfouis mes doigts qui rencontrent des petites limaces froides.

Je me relève, je traverse d’autres champs, un pré marécageux, roussâtre, qui est le domaine des libellules bleues, un autre pré où poussent des champignons couleur de cuir mouillé, tous en tas. Après, il faut franchir une haie d’aubépine et je rejoins la route de Chignac, tout affligé de quitter ces prés charmants. Mais aussi il devenait nécessaire de me sécher et le soleil est un puissant ami. Il me chauffe les jambes comme un chien familier pendant que je remonte la route en revenant vers la maison. C’est là qu’on descend toujours de voiture, pour soulager Bichette, quand on revient de Chignac. La première fois… Te souviens-tu comme tu étais grognon ? Imbécile !

Et maintenant, à l’assaut du grand hêtre, jusque dans le feuillage, là où la jonction de deux branches forme une selle confortable, ô bonne mère Nature ! De là, invisible, je vois la maison, je vois le jardin incliné selon la pente du plateau, et le toit rouge de l’écurie et j’entends les aboiements du chien qui me retentissent dans le cœur. Et je ne demande rien de plus pour me sentir merveilleusement heureux et très solidement éternel.

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27 juillet. — Plus on progresse dans la connaissance d’un être, plus on voit s’étendre le champ d’inconnu. Comment peut-on se lasser de la vie commune ? Est-ce l’amour qui se lasse avant la curiosité ou la curiosité qui, s’éteignant, éteint l’amour ? Faiblesse du cœur ou faiblesse de l’esprit ? Mais le véritable amour n’est pas soumis à la curiosité. Il a un caractère nécessaire, comme le mouvement des astres.