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LA MAISON DES BORIES

La lumière déclinait de plus en plus. Je fus saisi d’une espèce de terreur, en pensant au Golem — et aussi à cette histoire que l’ami Jakobus m’avait contée sur les superstitions des nègres de Haïti, qui croient que leurs sorciers peuvent magnétiser les morts. Sornettes, bien sûr, mais puisqu’il n’y a de vérité que dans l’esprit, elles doivent être vraies selon l’esprit, à la manière des symboles.

Je le regardais, je le regardais… J’attendais follement un signe, un mot qui me confirmât la réalité de cette atroce aventure. Mais il me dit simplement : « Êtes-vous reposé ? L’auberge n’est plus qu’à trente-cinq minutes d’ici. » Et je le suivis, riant en moi-même de ma crainte panique.

Pendant le dîner, je l’ai observé tandis qu’il parlait. La signification de ses traits se contredit et s’annule elle-même. Il a le nez et les sourcils d’un homme fait pour commander et les joues d’un faible, le regard glacé et la lèvre sensuelle, le front éclairé et le menton lourd. Mais son esprit est aussi défini et tranchant que son visage l’est peu. Il croit aux systèmes, aux classifications, à tout ce qui encadre et contient artificiellement la vie multiforme. Et sur certains points, il est lui-même un automate de précision.

Ce soir-là, seul dans ma petite chambre qui paraissait remplie tout entière par un énorme édredon rouge, j’ai tenté l’expérience du calque plastique. Est-ce que je m’abuse sur la valeur de cette expérience ? Je ne crois pas. C’est en imitant la voix d’Anna, — et pour mieux l’imiter, reproduisant la forme de ses lèvres et de toute sa bouche autour des mots, — que je me suis aperçu qu’elle me mentait. Et combien d’autres fois !…

La voix nasale de M. Durras, son articulation qui appuie sur les consonnes, je peux les reproduire. Je sais que cette voix-là monte tout de suite au ton de la colère, échappe à son maître comme un cheval em-