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LA MAISON DES BORIES

des voix d’enfants montaient vers nous… Comme j’aurais voulu être dehors !… Mais il semblait ne rien entendre et nous n’avons quitté son bureau que pour descendre dîner.

« J’ai cru sentir ce matin qu’il y avait quelque chose de grave, de très douloureux entre elle et lui. Mais ceci n’est pas mon affaire. Ne pas se mêler de la vie des autres. Pourtant, la sympathie… Mais quel besoin ont-ils de ma sympathie ?

« Qu’ils étaient beaux ce matin à table, frais, vifs comme goujons dans l’eau. Et vraiment, ils baignent perpétuellement dans une eau-mère, qui vient d’elle, à travers laquelle il y a des courants, des échanges. Unis et séparés comme les globules du sang, tous les quatre. Un même milieu, et des échanges constants. C’est aussi passionnant qu’une goutte d’eau vue au microscope. Si ma mère m’avait jamais regardé comme elle les regarde, je crois que je serais mort de félicité. Mais je n’ai jamais été beau. Une grande sauterelle mal venue, qui n’avait rien de flatteur pour une si jolie femme. Est-ce pour cela ? Mais je suis sûr, donc, que si l’un de ses enfants avait l’air d’une grande sauterelle, elle le regarderait tout de même comme la lionne du Tiergarten. Peut-être aussi que je ne suis pas beau parce que ma mère ne m’a pas aimé ? Mais qu’est-ce que cela me fait, d’être beau ou non ? Et d’être aimé ou non ? Il y a tant de bonheur au monde et les choses sont ce qu’elles doivent être. Qu’il me soit seulement donné de comprendre…

« Aujourd’hui, 12 juin, fut une belle journée. Peut-être un commencement. Peut-être la fin d’une chose oubliée. En tout cas, une belle journée. Puisqu’il nous faut marquer avec des bornes ce qui est ininterrompu, je salue joyeusement cette petite borne, en passant. »

Carl-Stéphane cessa d’écrire et vint respirer à sa fenêtre. Elle donnait sur le ravin, et la pente de la