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LA MAISON DES BORIES

ridicule timidité disparaît, je vois tout ce qui m’entoure et Mme D… elle-même, qui me parle, — et je lui réponds. Un visage italien, fier, intense et mélancolique. Je me demande : « Pourquoi mélancolique ? » tandis qu’elle me parle. Et je remarque en même temps qu’elle ne me pose aucune de ces questions qui attendent partout le voyageur, inévitables et banales : « Comment trouvez-vous notre pays ? » « Vous plaisez-vous en France ? » etc., etc… Non, elle me parle de la contrée où nous sommes, du climat, des vents, des nuages, de la végétation, des fleurs et des baies qu’on trouve en se promenant dans les bois, de la nature du sol, des essais de culture qu’elle a faits dans son jardin, et tout à coup, avec un air joyeux, qui transforme son visage : « Voulez-vous voir le jardin ? » Nous allons voir le jardin et c’est une vraie surprise de trouver sur ce haut plateau dévasté de lumière, dans ce maigre terrain, un parterre de fleurs éclatantes, qui ont l’air véritablement de crever de santé. Des œillets aux pétales doubles et triples, certains si rouges qu’ils en sont presque noirs, comme la crête d’un coq batailleur, des pavots énormes, des bégonias au cœur frisé, des géraniums flamboyants. La couleur vibre sous le soleil. Toute la gamme des rouges et des jaunes. Une pulsation ininterrompue de Cymbale, une clameur dionysiaque qui m’éblouit. C’est tellement inattendu, cette bacchanale sous la lumière dans ce vieux pays usé… Je suis sur le point de dire quelque chose là-dessus à Mme D… quand soudain, son visage change encore, paraît éclairé brusquement par un reflet de forge, ardent et grave. Elle regarde par-dessus mon épaule et dit : « Voilà mes enfants. »

« Je me retourne et je vois venir à nous trois beaux enfants, aussi brillants, aussi lustrés que les fleurs du jardin, vêtus à la fois comme des petits lords dans un tableau de l’école anglaise et comme des enfants de la nature, pieds nus dans des sandales,