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LA MAISON DES BORIES

étendant sur ses mains de la pâte d’amandes. D’ailleurs, il n’y aura pas de guerre, ce n’est plus possible à notre époque.

Amédée s’était levé et arpentait la pièce, les mains derrière le dos, tournant mécaniquement sur lui-même à chaque fin de course.

— Eh bien, ce projet de traduction ?

— C’est en très bonne voie. Il a même l’intention de traduire ma Géologie, aussitôt qu’elle sera achevée, pour un éditeur de Leipzig. Je crois qu’il s’en tirera bien. Il n’est pas sot, ce garçon.

— Il n’en a pas l’air, murmura Isabelle comme se parlant à elle-même. Mais il doit faire un drôle de ménage avec la science. Il a un front d’astrologue et des mains de bossu musicien.

Amédée s’arrêta court, haussant les sourcils :

— Et alors ? Qu’est-ce que ça veut dire ? Combien avez-vous observé déjà de bossus qui soient en même temps musiciens, pour pouvoir énoncer une idée générale sur la forme des mains des bossus musiciens ?

— Aucun, mon cher, vous avez raison.

— Je ne comprends pas qu’on parle pour ne rien dire.

La remarque irritée tomba dans le silence. Isabelle achevait sa toilette du soir. Elle avait chaud, trop chaud, comme toujours, dès que la fenêtre était fermée. Son peignoir blanc glissa jusqu’à sa taille, dénudant ses épaules et ses bras qui se soulevèrent, d’un mouvement d’ailes, aussitôt que sa peau fut à l’air. Vu de dos, son buste faisait penser à une grande torchère, portant haut la chevelure tordue en flamme de bronze. Quand Laurent la voyait ainsi, il effleurait du doigt, sans la toucher, la ligne incurvée qui allait de l’attache de la tête à l’attache du bras et murmurait d’un ton pénétré, religieux : « Tu vois, ça, c’est admirable. Quand je serai grand, je sculpterai ton buste. Ma Gentille. »