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LA MAISON DES BORIES



— Un charmant garçon, ce Kürstedt, dit Amédée en se laissant tomber au creux d’un fauteuil, dans la chambre de sa femme. Un homme très bien élevé.

— Très bien élevé, approuva Isabelle, en écho.

— Il a une bonne culture scientifique, bien qu’il ne soit pas spécialisé à la manière allemande. En un sens, c’est regrettable, car je crois qu’il ne poussera jamais rien à fond. C’est un voyageur dans tous les domaines.

« Mais ces Allemands, quelle organisation ! Quel sérieux ! Savez-vous qu’à l’Université de Bonn où Kürstedt a passé trois ans, non seulement ma thèse a été inscrite au catalogue l’année même de la soutenance, mais qu’on a constitué immédiatement une bibliographie ou figurent les moindres brochures que j’ai publiées, avant et depuis ? C’est prodigieux. Allez donc chercher quelque chose de semblable en France ! Il faut voir nos bibliothèques des Facultés, quel laisser-aller, quelle insuffisance… Et la Nationale donc ! Un catalogue qui n’est jamais fichu d’être à jour, des livres qu’il faut attendre pendant une heure, des employés qui sont payés pour dormir ! On se fout de tout, chez nous, c’est bien simple. Aussi, vous verrez qu’ils finiront par nous avoir.

— Les Allemands ? dit Isabelle, incrédule. Et ça ?

Elle montrait les veines de son poignet, d’un geste qui lui était familier, quand elle voulait parler du sang, de la race.

— Ptt ! fit Amédée. Kürstedt me disait qu’il avait l’impression très nette que l’Allemagne se prépare à nous tomber dessus. Si c’est vrai, nous sommes foutus. Foutus, je vous dis, nous ne tiendrons pas deux semaines…

— Mais non, mais non, chantonnait Isabelle en